Les Editions de l'Avenue

Association culturelle littéraire

Le temps est conté

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Littérature jeunesse > ISBN : 978-2-9515735-3-6 / Mai 2004

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Aujourd'hui n'est pas un jour comme les autres. La température de l'air est tombée en dessous de zéro, les arbres ont perdu leurs fleurs à peine écloses et les gens de la ville sont restés chez eux en regrettant de ne pas avoir ravivé le foyer de leur cheminée.
Que se passe-t-il au beau milieu de l'Egypte en ce matin du 2 avril de l'année 1372 ? Aucun scientifique spécialisé en météorologie ne peut l'expliquer :
- C'est dans l'air du temps ?
- Quoi donc ?
- Le changement.
- Mais quel changement ?
- Le déroulement de la journée nous apportera peut-être la réponse....
C'est ce type de dialogue que l'on pouvait surprendre dans les rues glacées de ce pays chaud.
Un couple déambulait péniblement à travers les rues. La silhouette de femme âgée d'à peu près vingt-cinq ans ployait sous le poids d'une grossesse qui arrivait à terme. L'homme, à ses côtés, la soutenait du mieux qu'il pouvait en affrontant l'air de plus en plus glacial et les flocons de neige qui aveuglaient leurs visages.
- Entrez ! Venez ici ! Il fait bon chez moi. Ma maison est petite mais j'ai pu faire du feu. Je vais vous donner du lait chaud et votre femme pourra s'allonger.
En ce samedi 1er avril, une femme était devenue mère et un homme était devenu père. Or personne ne connaissait leur prénom. Ni les gens du village, ni ceux qui les avaient accueillis. Car ils venaient de loin, de très très loin.
- On l'appellera Ornicar. C'est le fils de toutes les circonstances et de tous les chamboulements.
Il était né avec des cheveux blancs comme la neige d'Egypte, cotonneux comme les nuages qui habillaient le ciel ce jour-là et gracieux comme la beauté chaleureuse de la demeure. Ses parents s'étaient installés dans ce village où ils avaient trouvé du travail. Ornicar avait grandi.



2

- Je ne veux pas rester toute ma vie dans ce village, je m'ennuie.
- Mais enfin Ornicar tu as tous tes amis, ta famille, ta classe !
- Je veux voyager, aller au bout des autres mondes, franchir l'horizon !
- Mais qui t'a mis des idées pareilles en tête ?
- ....
- Ton père travaille la terre, moi je m'occupe des bêtes. Je sais bien qu'à ta naissance il neigeait et qu'il n'a plus jamais neigé depuis, mais quand même.... tu es farfelu mon fils.
Ornicar repartit en colère. Décidemment peu de gens le comprenait ! Ce n'était pourtant pas compliqué, il voulait prendre le bateau et parcourir les océans avec les marins du village qui ne revenaient parfois qu'au bout de longs mois. Ils racontaient à leur retour des histoires extraordinaires, rapportaient des tissus, des épices, des objets bien différents de ceux qui l'entouraient chaque jour.
Il avait un don extraordinaire que les circonstances de sa naissance avaient développé. Son sens du toucher était surdimensionné. En appliquant ses mains sur des objets, il avait la faculté de ressentir la vie de l'objet, sa provenance, son histoire. En un mot, Ornicar était un être exceptionnel.



3

Il n'avait pas exercé qu'un seul métier. En grandissant, ses facultés d'adaptation lui avaient permis d'expérimenter un grand nombre d'activités. Il savait s'occuper des bêtes, des cultures, prévoyait le temps à venir, tirait des conséquences de ce qui venait de se passer, analysait les données de façon instinctive.... Son savoir était bien supérieur à celui des précepteurs, des prêtres et de tous les ancêtres réunis. Il avait aussi la réputation troublante d'être un peu magicien.
- Allez Ornicar, fais-nous ton tour favori !
Les enfants et les adolescents du village adoraient partir, grâce à lui, vers d'autres horizons, dans d'autres temps.
- Asseyez-vous, juste une aventure alors, parce que le devoir m'appelle et j'ai du pain sur la planche.
Il ouvrait alors sa brèche temporelle favorite : il embarquait tout son petit monde à bord de son imagination débordante et sentait grâce à son don surnaturel qu'il captivait son auditoire.
- Voilà. C'est l'histoire d'un futur, d'une époque lointaine où nous deviendrions des robots et où les machines remplaceront le monde des hommes....



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A dix mois, ses parents avaient découvert son don. Il avait une façon particulière de s'emparer des objets : il les gardait longuement dans les mains, souriait parfois, fronçait les sourcils ou encore poussait des cris véhéments.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- Ta soupe est trop chaude ?
- Tu n'aimes plus les carottes ?
- Tes jouets ne te plaisent plus ?
- Tu es vraiment étrange....
Un midi, il rentra dans une colère qui fit trembler les murs du village. Son père lui avait rapporté un épi de maïs en guise de jouet. Il lui raconta d'où il venait et le lui mit entre les mains. Il perçut que quelque chose n'allait pas du tout. Son fils comprit que le maïs avait ressenti une douleur intolérable en étant arraché alors qu'il n'était pas encore mûr.
Ce n'était pas l'épi qu'Ornicar touchait mais son histoire, ses pensées, sa vie intérieure.
Beaucoup de personnes auraient pu rire d'une telle anecdote. Après tout, le maïs ce n'était qu'une plante et il n'y avait pas de quoi en faire toute une histoire. Pourtant, la personnalité d'Ornicar ne fit que s'affirmer au cours du temps et son enfance fut clairsemée d'aventures plus ou moins significatives. Ornicar conserva dans une de ses poches son premier épi de maïs. Même s'il avait été cueilli alors qu'il n'était pas assez mûr, sa présence lui réchauffait le coeur et symbolisait une forme de porte-bonheur.
- Il perd ses grains ! Tu devrais le jeter. Ton père t'en redonnera un autre.
- Ne fais jamais ça maman. Tu ne peux pas imaginer ce qu'il représente pour moi. Il me parle.
- J'ai toujours été sûre que tu étais un curieux bonhomme. Je n'ai jamais vu un enfant s'attacher à ce genre d'objet.
- ....
- Passe pour une peluche, un drap, une couverture mais un épi !
L'incident fut clos. Sa mère prit le soin de vider ses poches avant de laver ses pantalons et bermudas. L'enfance suivit son cours.

Texte

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